La première journée du procès dit du « logeur des terroristes du 13 novembre » a été en grande partie consacrée à Youssef Aït Boulahcen. L’audition de cet ancien ambulancier a mis en évidence quelques fragilités de sa défense. Il est soupçonné de non dénonciation de crimes terroristes et nie avoir eu connaissance de la présence d’Abdelhamid Abaaoud dans la cache.
Elle ne lui a pas laissé de répit. Quand Youssef Aït-Boulahcen demande à la présidente une pause, Isabelle Prévost-Deprez lui répond avec un léger sourire: « Pourquoi ? Vous avez un problème ? Oui, c’est sûr c’est lourd mais on va terminer les questions. » Voilà plus de trois heures que l’un des trois prévenus réunis dans la 16e chambre correctionnelle de Paris, à qui est reproché la non dénonciation de crimes terroristes, se tient droit devant la barre. Il tente de justifier les incohérences noircissant son dossier. 17h22, le jeune homme de 25 ans est invité à s’exprimer, deux heures après le début d’une première journée initialement programmé à 13h30 ce mercredi et retardé par le mouvement social des surveillants de prison (*).
A la première question de la présidente, pour quelle raison ne s’appelait-il plus Aït-Boulahcen, le prévenu explique ne pas vouloir que le nom de ses futurs enfants soit associé au terrorisme. Sa soeur Hasna a été tuée, comme son cousin Abdelhamid Abaaoud lors de l’assaut des forces de l’ordre à Saint-Denis, cinq jours après les attentats du 13 novembre 2015. Espère-t-il partir sur des bonnes bases avec l’accusation ? On a le sentiment ensuite que Youssef Aït-Boulahcen piétine dans ses réponses, usant d’un message visiblement bien rôdé: « Si j’avais su que le terroriste Abdelhamid Abaaoud se trouvait sur le territoire français, j’aurais amené de force ma soeur au commissariat.»
Pourquoi n’a-t-il pas averti la police alors qu’il se doutait bien qu’Abaaoud était la personne cherchant une planque après les attentats, et que sa soeur en avait la mission, insistent les parties civiles, au moment où le prévenu demande la pause. « Il n’y avait rien de factuel et de précis, avance Aït-Boulahcen: « Je n’avais pas la ferme conviction que c’était Abaaoud. Et puis comme elle me mentait souvent, je me suis dit qu’elle me faisait encore tourner en bourrique. A ce moment là, je ne la crois pas. Il est improbable qu’Abaaoud soit en France.»
L’amnésie comme parapluie
Youssef Aït-Boulahcen vacille encore un peu plus quand il brandit l’amnésie comme bouclier. Il a oublié avoir dit aux inspecteurs, le 19 novembre 2015 lors de sa première audition, avoir jeté la puce d’un téléphone aux toilettes et effacé massivement beaucoup de messages et de documents sur une autre ligne, celle d’un smartphone: « Je l’ai peut-être dit mais je ne m’en souviens pas. » « Oui mais moi je vous le dis », lui renvoie illico la présidente. On a parfois du mal à le suivre, quand il dit notamment « Je jette la puce quand j’apprends la mort de ma soeur car je ne voulais pas que cette affaire remonte à moi, car je n’ai rien à me reprocher. »
Le tribunal correctionnel peine également à comprendre totalement pourquoi il dit ne pas avoir reçu des messages compromettant provenant de sa soeur. Il l’avait bloquée sur un de ses téléphones – « parce qu’elle me saoulait avec ses histoires floues» – mais la présidente affirme que cela ne peut pas être prouvé techniquement, selon les spécialistes de l’exploitation de la téléphonie, donc « il y a place au doute », conclut Isabelle Prévost-Deprez.
Il apparaît enfin étonnant, a souligné la cour, que cet ancien ambulancier ignore presque tout au sujet de la situation d’un Abaaoud activement recherché comme étant l’un des responsables des attentats, que toute la France et les médias internationaux ne parlent que de lui, et alors que sa soeur en parle ouvertement à beaucoup de gens bien moins intimes que pouvait l’être son frère. A 20h30, la présidente desserre l’étreinte en suspendant l’audience.
*: L’extraction de Mohamed Soumah, détenu à Fleury-Mérogis, a été bloquée à la mi-journée.
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