10 ans d’emprisonnement. Lofti S. a écopé de la peine maximale, vendredi soir à la 16e chambre correctionnelle de Paris. Cet ingénieur informatique, arrêté à son retour de Syrie en mai 2015, était poursuivi pour association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’actes de terrorisme. Egalement prévenu dans le dossier, son fils Karim a écopé de 8 ans.
Un bon père. Lofti Souli n’a pas laissé tomber ses deux fils, Karim et Mohamed-Emine, quand ils décident de rejoindre la Syrie en octobre 2013, pour tenter, avance-t-on dans le camp de la défense, de récupérer un copain de lycée de l’aîné déjà sur place, parti faire le djihad comme on dit. « C’est ce qu’il dit depuis le premier jour, et on ne l’a pas écouté. Avec la justice française, il y a un vrai divorce. Tout son discours tombe en miettes, regrettait vendredi Maître Pradel au cours de sa plaidoirie. Depuis le début, Madame la présidente, il peine à se faire comprendre, à faire entendre qu’il n’est pas un terroriste. » C’est un gros problème, martèle son avocat. C’est vrai. Parce que du côté de l’accusation, on n’adhère pas vraiment à la version avancée par cet ingénieur en informatique de 50 ans qui comparaissait jeudi et vendredi devant la barre de la 16e chambre du Tribunal correctionnel de Paris.
La cour l’a reconnu coupable, peu avant 20 heures ce 28 septembre, des faits qui lui étaient reprochés. Suivant les réquisitions du ministère public, Lofti Souli, renvoyé pour « association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’actes de terrorisme », a été condamné à 10 ans d’emprisonnement (la peine maximale), au maintien en détention et à une peine de sûreté des deux tiers (1). Son fils Karim, co-prévenu dans le dossier, a écopé de 8 ans et d’une peine de sûreté de moitié (2). Le tribunal a pris en compte pour ce dernier son jeune âge à l’époque (18 ans) et la démonstration depuis sa détention ordonnée il y a un peu plus de trois ans d’une « évolution » dans sa volonté de tourner la page. « C’est une satisfaction, a réagi son avocat Maître Nogueras. On a considéré qu’à 18 ans en 2013, on n’avait pas tous les tenants et aboutissants de ce qui se passait en Syrie. Et pour Karim, du groupe qu’il rejoignait (Ahrar Al Sham puis l’Etat Islamique à partir de décembre 2013, ndlr). » Le troisième prévenu, Anass Belloum (supposé mort dans la zone de conflit), a été relaxé. Le copain de lycée de Karim Souli avait combattu pour le groupe Ahrar Al Sham, pas qualifié d’organisation terroriste.
Intégré de force par l’Etat Islamique ?
Un peu plus tôt dans l’après-midi, la procureure s’était étonnée de voir que Lofti Souli, gérant de société, avait tout plaqué il y a presque cinq ans pour partir dans une zone de conflit, après avoir vidé ses comptes, 30 000 euros, comme son appartement. « Vous n’aviez pas la même démarche que celles de vos fils, en plus en emmenant un mineur. Vous avez là une responsabilité importante », s’était justifiée la Cour au moment de la lecture du délibéré. Lofti Souli, dont les fonctions à l’époque en Syrie pouvaient être assimilées à celles d’un directeur des télécommunication de l’organisation terroriste, a vécu une « épopée », de la bouche de Maître Pradel. On y est. En Turquie, Lofti, Karim et Mohamed-Emine vont être plus ou moins contraints de passer la frontière et puis se soumettre au régime de l’Etat Islamiste, après un passage par Ahrar Al-Cham. Ce groupe, rappelle énergiquement Maître Nogueras, que les organisations internationales ne considèrent pas comme terroriste. Au contraire de Daech qui emprisonnera le père, soupçonné d’espionnage, entre août 2014 et la première quinzaine de mars 2015, toujours selon le récit narré par l’intéressé.
Pour ses derniers mots, Karim S. souhaite ajouter : "aujourd'hui, j'ai 23 ans. J'ai encore le temps de construire un avenir solide. Une longue peine ne sera pas la meilleure manière de m'y aider. Je ne présente aucune menace."
— Charlotte Piret (@ChPiret) September 28, 2018
Lofti Souli réussira pourtant à négocier et obtenir son départ, et celui de ses fils, de Syrie en mai 2015, a-t-il déclaré vendredi à la barre. Un authentique exploit, un miracle oserait-on dire, quand on connaît avec quelle sévérité les coupables étaient traités par l’EI, a souligné la procureure dans sa plaidoirie: « J’ai l’impression que Lofti sait ce qu’il va apporter à l’Etat Islamique quand il part en octobre 2013. » « On est devant un père qui a cherché à sauver ses fils. Il savait, lui, à l’époque qu’il était inutile de prévenir les autorités. Ça ne servait à rien », a répondu Me Pradel. L’avocat a décrit son client comme une victime de Daech. Il fallait obéir aux terroristes ou prendre le risque de mourir, comprend on. Ce titulaire d’un master en informatique est expulsé vers la France par les autorités turques 10 jours après son arrestation. Il est en possession de deux ordinateurs et de disques durs externes (DDE).
Projet d’attentat contre la Tour Eiffel ?
L’exploitation réalisée par les enquêteurs va révéler notamment des manuels destinés à la fabrication d’explosifs, des simulations de vol de Boeing ainsi que des photos aériennes de la tour Eiffel et du pont de l’Alma. « Ce contenu ne m’était pas destiné , a expliqué le mathématicien dont le comportement était, semble-t-il, héroïque ou un peu trop téméraire. J’ai dérobé à l’EI ces disques durs pour rendre service à un de mes fils (Karim, ndlr) qui voulait enregistrer une vidéo de simulateur de vol. » Quid de celles où l’on voit 15 minutes de montage et démontage d’armes de poing ? Et celle du mode d’emploi pour configurer un téléphone portable pour un détonateur ? Et que dire de ces images de propagande de l’EI ? Là aussi, le prévenu écarte tout lien avec ces documents compromettants. Et là encore, sa réponse laisse perplexe la présidente Céline Ballerini. Lofti Souli se dédouane également de toutes responsabilités au sein de la logistique informatique de l’Etat Islamique. Il n’a pas, dit-il, été un membre actif d’un projet de développement de télécommunications de l’entité terroriste : « J’étais responsable des téléphones fixes. » Mais il reconnaît avoir proposé ses services à l’EI: « Pour un revenu mensuel de 2 000 euros ».
A propos de la très surprenante mansuétude dont il a bénéficié quand l’EI a décidé de le libérer puis de lui donner le feu vert pour rentrer en France, Souli affirme avoir été en possession d’une autorisation écrite délivrée par les services secrets turcs. La présidente tique. La cour s’étonne ensuite de la teneur des conversations entre Lofti Souli et des proches où il évoquait la possibilité de « mourir en martyr » « Là Mme la présidente, mes paroles ont dépassé ma pensée. » En novembre 2017, des rapports de sa détention parlent d’un caractère prosélyte marqué, empreint de paternalisme « un danger pour les 18-25 ans. » Il devra patienter un peu plus de trois ans pour demander un aménagement de peine. Les différentes parties ont 10 jours pour faire appel.
1: Ainsi que de son inscription au FIJAIT (Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes)
2: L’’Association française des victimes du terrorisme (AFVT), constituée partie civile, recevra un total de 800 euros, pour « l’intérêt collectif qu’elle défend », avait plaidé Maître Claire Josserand-Schmidt.
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